Les Soviétiques vont-ils tirer toutes les conséquences
de ce fâcheux incident, tout-à-fait significatif des
intentions allemandes ? Nous verrons qu'il n'en est rien, par la
volonté délibérée de Staline de ne pas
provoquer son puissant voisin occidental...
Jusqu'au dernier moment, et même après le déclenchement
de l'attaque des forces de l'Axe, la Stavka, sous l'impulsion de
Staline, nie dans un premier temps l'évidence en croyant
à une manoeuvre de provocation émanant de quelques
généraux, voire une bavure...
C'est précisément la raison pour laquelle l'Armée
Rouge n'est pas mise en alerte, alors que de nombreuses informations
transmises par les services de renseignement auraient permis à
l'URSS de limiter les dégâts en dispersant les avions
et rappelant les permissionnaires. Encore eût-il fallu que
Staline réalise que les concentrations de troupes allemandes
ne sont pas une opération d'intoxication de la part du Foreign
Office Britannique !!!
Lorsque le petit Père des Peuples réagit, il est déjà
trop tard et l'URSS va payer très cher les hésitations
de son Haut Commandement.
Aufklärungsgruppe Ob.d.L.
Les instructions concernant la concentration stratégique
et le déploiement des armées allemandes à l'est
sont signées dès le 31 janvier 1941 par Le GFM von
Brauchitsch. Ces directives établissent l'ordre de coopération
entre forces aériennes et terrestres. En février 1941
débute le transfert vers l'Est des unités de la Luftwaffe,
avec l'aménagement des bases aériennes, les dotations
en personnel de service, les sous-divisions des services piste,
technique, météorologique et médical, etc...
Ces bases aériennes doivent être mobiles, l'ensemble
du personnel étant transporté par avion cargo. Les
aérodromes de service et de secours situés en Pologne
sont les premiers à être opérationnels.
Le transfert des unités de la Luftwaffe depuis le front de
l'Ouest s'effectue en 5 échelons sous la supervision d'"équipes
de travail". Le dernier échelon (la réserve du
Haut-Commandement), est transféré aux frontières
de l'URSS alors que les combats ont déjà commencé.
Toute cette opération de transport est menée à
bien dans le plus grand secret : les appareils ne volent que de
nuit sous silence radio absolu. Au 20 avril, environ 20% du déploiement
prévu des unités est réalisé.
Ce sont d'abord les unités de reconnaissance qui se mettent
en place : les équipages des unités de reconnaissance
rapprochée (Heer) se consacrent à l'observation du
déploiement de leur propres troupes à titre d'entraînement.
Ceux des unités de reconnaissance lointaine (Fern), se lancent
dans une surveillance active du territoire soviétique.
Il faut noter que le déploiement s'accélère
au retour des unités engagées dans les Balkans, mais
outre le retard d'un mois occasionné par la campagne des
Balkans, il faut noter aussi les pertes importantes subies par les
Gruppen de transport (notamment en Crète), et la ponction
des unités de combat pour assurer la couverture aérienne
des Balkans occupés.
Mais l'Allemagne ne peut masquer entièrement
ses préparatifs. En effet, depuis plusieurs mois déjà,
les avions du Groupe de Reconnaissance Stratégique de la
Luftwaffe, l'Aufklärungsgruppe Oberbefehlshaber der Luftwaffe
(AufklGr.Ob.d.L), sillonnent l'URSS avec de nombreuses missions
de reconnaissance photographique. Ces opérations spéciales
ont pour but de mapper le territoire soviétique en renseignant
l'OKW (Oberkommando der Wehrmacht) en matière de renseignement
topographique (relief, climat, accès et voies de pénétration,
possibilités de mouvements) et militaire (articulation des
forces et degré de préparation soviétiques,
vulnérabilité et points faibles des dispositifs, objectifs
stratégiques possibles, potentiel économique et industriel,
...).

1(F). / Aufkl.Gr.Ob.d.L.
Pour la préparation de Barbarossa, la Luftwaffe
a le temps pendant plusieurs mois, de répertorier méthodiquement
les objectifs potentiels, les dispositifs frontaliers soviétiques,
ce qui explique pour beaucoup la capacité de la Wehrmacht
à manoeuvrer en Russie occidentale pendant la campagne d'été.
Sous le commandement de l'Oberstleutnant Theodor Rowehl, l'Aufklärungsgruppe
Ob.d.L opére dès le printemps 1941 à partir
de bases situées dans le "Gouvernement Général"
(en fait la Pologne occupée) et en Hongrie, pour la reco
photo de l'Ukraine sur Junkers Ju86-P et Junkers Ju88. La couverture
de la Biélorussie et de la Crimée est assurée
par des Staffeln sur Heinkel He111 et Dornier Do215B-1 aux moteurs
spécialement rétrofittés, basés en Prusse
Orientale et en Roumanie.
Le Kommando Rowehl parvient à indiquer avec précision
l'emplacement des aérodromes soviétiques, ce qui explique
les succès impressionnants de la Luftwaffe dès les
premiers jours de combat.
Cette unité est active depuis la fin de l'année 1940,
époque à laquelle Hitler charge personnellement Rowehl
de ramener le plus de photos possible du territoire soviétique.
L'Aufkl.Gr.Ob.d.L. dispose rapidement d'appareils équipés
des meilleures caméras, montées tout d'abord sur des
He111 à Seerappen, en Prusse Orientale. Le Gruppe reçoit
ensuite des Do215B-2 qui permettent des reconnaissances plus lointaines
et enfin, arrivent les Ju86P-1 et P-2 à cabine pressurisée
permettant les vols à haute altitude.
Selon
les estimations soviétiques, plus de 500 missions de reconnaissance
allemandes ont lieu au-dessus du territoire soviétique avant
le déclenchement des opérations ! Pire, un second
appareil est contraint de se poser près de Minsk le 20 juin
1941, mais l'équipage parvient à le mettre en feu
avant de se retrouver prisonnier !
Mis au courant des intrusions allemandes dans l'espace aérien
soviétique, Staline interdit tout simplement à la
chasse et aux unités antiaériennes d'intervenir, toujours
par crainte de provocation...
Lorsqu'en désespoir de cause, Timochenko, Joukov et Vatutin
exhortent Staline de mettre l'Armée Rouge en alerte au soir
du 21 juin 1941 à la suite des révélations
d'un déserteur allemand, celui-ci tergiverse encore avant
de donner son feu vert après une heure du matin : moins de
deux heures plus tard, les premières vagues d'assaut des
Kampfgeschwader allemandes décollent pour bombarder leurs
objectifs marqués au préalable par les éclaireurs
"Pfadfinder", eux-mêmes précédés
par les missions des Wekusta (escadrilles de reconnaissance météo)...
Pour la plupart, les unités de frontière soviétiques
n'ont alors pas encore reçu l'ordre de la Stavka...
L'importance
de la composante reconnaissance aérienne dans la chaîne
du renseignement est généralement sous-estimée,
voire ignorée du grand public, alors qu'en réalité,
ces unités sont les yeux des forces terrestres et maritimes
: sans reconnaissance aérienne, un Panzerkorps ou une Panzerdivision
est aveugle, et ne peut adapter sa manoeuvre par la connaissance
des positions ou des mouvements ennemis. Le renseignement est avant
tout la connaissance. Et la connaissance est l'élément
central du processus de planification et décision.
L'indécision de l'OKW lors du déclenchement de l'Opération
Uranus pendant la campagne de Stalingrad illustre bien les difficultés
d'un haut commandement privé de sa capacité de reconnaissance
aérienne pour évaluer les axes d'effort et les intentions
de l'ennemi : les Staffeln de reconnaissance sont clouées
au sol à cause d'une météo épouvantable
durant les premiers jours.
On ne saurait trop se préparer à la sortie
d'IL-2 sans s'intéresser de très près à
la doctrine d'emploi des moyens de la Luftwaffe : replacer une sim
historique dans son contexte, c'est déjà faire oeuvre
utile pour mieux la maîtriser.
Nous reviendrons dans un article ultérieur détaillant
précisément l'ordre de bataille de la Luftwaffe au
22 juin 1941, sur le poids des unités de reconnaissance tactique
de la Luftwaffe pendant et après Barbarossa, ne serait-ce
qu'en terme de chiffres. Oleg n'est pas passé à côté
de cet aspect historique, même si ce n'est pas là le
principal attrait d'IL-2. C'est en tous cas la raison première
de l'intégration du Fw189 dans IL-2.

3(F). / Aufkl.Gr.Ob.d.L.
L'aviation
de reconnaissance allemande
Lors
de la reconstitution de la Luftwaffe, la reco est la première
mission dévolue aux nouvelles Staffeln, avant même
le bombardement et la chasse. La Luftwaffe répartit ses unités
en deux secteurs différents : d'une part les unités
de reconnaissance stratégiques ou "lointaines"
(Fern), d'autre part les unités d'observation tactiques (Heer)
car elles observent pour le compte du Heer (Armée de Terre).
Avec le recul, l'appareil le plus utilisé fut de loin le
Ju88 avec 1911 modèles de reco, mais à côté
des chevaux de labours que sont les Fw189, Hs126 et Fw200 "Condor",
des appareils tels que le Bf109 avec 600 modèles de reco,
le Fw190 et même le Me262 sont aussi employés. Enfin,
les avions "mythos" ne sont pas en reste : Junkers Ju388,
Dornier Do335 "Pfeil" et Arado Ar234.
Type d'appareil
|
Nombre
|
Ju88
|
1911
|
Fw189
|
846
|
Hs126
|
910
|
Bf109
|
600
|
Ju188
|
570
|
He45
|
512
|
He46
|
481
|
He70
|
306
|
Do17
|
environ 300
|
Fw190
|
environ 200
|
Do215
|
101
|
Me410
|
environ 100
|
Me262
|
environ 100
|
He111, Ar234, Ju86,
Do217, Ju388, Ju290, Do335, Fw200
|
?
|
Ar240
|
quelques prototypes
|
Ju390
|
2 prototypes
|
Aufklärungsgruppe
Ob.d.L. (Kommando Rowehl)
L'Aufkl.Gr.Ob.d.L. renseigne l'OKL. Il est à
l'origine équipé de He111, Do17-F et P. Durant l'hiver
1940, il est rééquippé avec des Bf110. La 4.
Staffel a utilisé principalement des Do215 modifiés
et des prototypes. Courant 1940, les trois premières Staffeln
reçoivent leurs nouveaux Ju88. Le Stab est dissous au début
de 1942 pour former les 1. et 2. / Versuchsverband Ob.d.L. Les 3
premières Staffeln forment le AufklGr 100 en Janvier 1943,
tandis que la 4. rejoint la 1./Versuchsverband Ob.d.L. le 1er mars
1943.
Le principal code utilisé par le Groupe est T5 (utilisé
aussi par les Wekusta 1. et 2. / Ob.d.L., mais ces escadrilles sont
indépendantes du Groupe de Reco Stratégique).
Les codes K9, G2, et L2 sont aussi temporairement utilisés
par le Groupe, sur des appareils de prêt ou transférés
d'autres unités.
L'Aufkl.Gr.Ob.d.L. comprend aussi la Versuchstelle für Höhenflüge
(Centre d'expérimentation pour le vol à haute altitude).
Pour la petite histoire, les travaux de ce centre seront exploités
par les Américains au début de la conquête spatiale...
Staffel
|
Date de création
|
Date de Dissolution
|
Code Staffel
|
Couleur du marquage
|
Stab / Ob.d.L. |
Janvier 1939
|
forme les 1. et 2./Versuchsverband
Ob.d.L.en Janvier 1943
|
A, B, C, D
|
noir
|
1.(F) / Ob.d.L. |
Janvier 1939
|
forme la 1./Aufkl.Gr
100 en Janvier 1943
|
H
|
noir
|
2.(F) / Ob.d.L. |
Janvier 1939
|
forme la 2./Aufkl.Gr
100 en Janvier 1943
|
K
|
noir
|
3.(F) / Ob.d.L. |
24 Octobre 1939
|
forme la 3./Aufkl.Gr
100 en Janvier 1943
|
L
|
noir
|
4.(F) / Ob.d.L. |
24 Octobre 1939
|
absorbée par
la 1./Versuchsverband Ob.d.L. en Janvier 1943 (essais sur
avions alliés capturés)
|
M
|
noir
|
Exemples de marquages de l'AufklGr
Ob.d.L. :
T5 + AA : Stab / AufklGr Ob.d.L. (Gruppenkommandeur),
T5 + KD : 2(F). / Ob.d.L.
Gerfaut
|
Dornier Do215B-1 de l'AufklGr Ob.d.L. sur le front de Finlande.
|

Junkers Ju86P-1, T5+RK, de la 2(F). / AufklGr Ob.d.L. utilisé
pour des vols à haute altitude au-dessus de l'Angleterre à partir
d'Oranienburg. Eté 1940.
|

Do215B-1, T5+AC, vraisemblablement du Gruppenstab, photographié
en Finlande le 11 juillet 1941. Camouflage standard 70-71-65 avec
bande de fuselage du théâtre d'opérations Est.
|

Do215B-1, T5+AH, de la 1(F). / AufklGr Ob.d.L. à Luonetjärvi,
Finlande. Eté 1942. Bande de fuselage jaune et marquage noir.
|

Autre vue du T5+AC, montrant la partie supérieure de l'aile elle
aussi peinte en jaune.
|

Do215B-4, T5+NM, de la 4(F). / AufklGr Ob.d.L. Appareil ultérieurement
transferré à la 2(F). / AufklGr Ob.d.L. Descendu le 11 juillet
1942 entre Millerovo et Starobielsk. Bande de fuselage jaune,
pointe de casserole d'hélice blanche et marquage noir.
|

Do215B-1, de la 1(F). / AufklGr Ob.d.L., marqué T5+AH, à Luohetjarui,
Finlande, 1941. Bande de fuselage et ailes jaunes. Camouflage
standard 70-71-65 avec mouchetage visible sur le bleu clair de
la partie inférieure.
|

Pour info les photos suivantes sur les Staffeln météo
de l'Ob.d.L. : He111H-2, T5+BU, de la Wekusta 1 / Ob.d.L. Cette
Staffel intervenait pour la reconnaissance météo lointaine ou
des objectifs stratégiques. Code Staffel "U". Marquage noir.
|

He111H-6 de la Wekusta 2 / Ob.d.L., avec emblème de l'escadrille.
Code Staffel "V".
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Wekusta 1 / Ob.d.L.
(reconnaissance météo)
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Wekusta 2 / Ob.d.L.
(reconnaissance météo)
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Photographies
de la Bundersarchiv et de diverses collections personnelles.
Tirées du Livre
"Luftwaffe
codes, markings & units 39-45",
Barry C. Rosch,
ISBN 0-88740-796-X.
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